Les maisons aux XVIème et XVIIème siècle (1)
Dans le cadre de l'exposition "Le cadastre a 200 ans" aux Archives départementales de la Haute-Saône (novembre 2007-mars 2008), Monsieur Georges Rech, directeur des Archives, a bien montré dans son exposé de présentation tout le potentiel de données que [Jon pouvait tirer d'une étude approfondie des plans cadastraux de nos villages. L'article qui suit va dans ce sens, en soulignant l'intérêt d'une recherche même antérieure au cadastre, tout en prenant les plans comme supports et en utilisant les nombreuses listes nominatives (montres d'armes, réunions de communauté, rôles d'impositions ... ) que l'on pourra découvrir, et toujours en liaison avec les données de la généalogie.
Dès la création du cadastre, Échenoz-la-Méline a disposé pour le village, section C, d'un plan d'ensemble par masses de culture avec figuration des vignes, des vergers, des terres cultivées, puis par la suite d'un plan parcellaire classique.
Retrouver la localisation de maisons habitées par nos ancêtres aux XVIe et XVIIe siècles n'est pas chose facile. Les données existent certes, mais elles sont toujours très floues, liées davantage à l'environnement habité proche (entre la maison d'un tel et celle de ... , la rue commune publique par devant. .. par exemple). Ces indications étaient certainement jugées suffisantes à l'époque; elles sont difficilement exploitables pour nous.
Une recherche a cependant été tentée pour Échenoz-la-Méline, à partir de diverses listes ou rôles (trois du XVIe siècle et deux du XVIIe siècle).
Il s'agit soit de :
- listes de montres d'armes
Pour les hommes valides d'Échenoz, de 16 à 60 ans, il était obligatoire d'avoir une arme personnelle (arquebuse, hallebarde, épée ou même simple pieu), et ceci jusqu'au rattachement de la province par la France.
En période de troubles, ils étaient astreints au guet, à la garde de jour comme de nuit; ils devaient participer à la défense de la ville de Vesoul, qui était alors fortifiée; en période de paix, éventuellement aux réparations des murailles, au curage des fossés, suivant la formule :" ... tous dudit Eschenoz, subjectz aux monstres, guet et garde audit Vesoul et contribuables à tous menus emparements" (montre d'armes de 1569 ; ADHS 550 E dépôt 92 EE4).
Ils devaient être présents, sous peine d'amende, aux revues ou montres d'armes périodiques, qui faisaient l'objet de listes de présence, avec différentes rubriques (armes, àge, etc.).
Par réciprocité, leurs familles, en cas de troubles ou de menaces de guerre, pouvaient se retirer derrière les murailles de la ville de Vesoul avec leurs biens et leur bétail. Ils avaient le statut de "retrahants".
- listes de réunion de communauté
Les réunions sont nombreuses, car on est en démocratie directe: tout est décidé en assemblée. Les listes qui sont établies, sont moins précises que les précédentes. La présence aux réunions de communauté n'est en effet pas obligatoire, mais des absences répétées peuvent être sanctionnées par une amende. Il faut toutefois que le quorum des trois quarts des hommes admis à participer et à voter soit atteint, pour que les décisions soient valides.
Pour participer aux réunions de la communauté, il faut être:
originaire d'Échenoz ou considéré comme tel, en payant un droit d'entrée dit d'habitandage (les étrangers ne participent pas aux réunions et aux votes) ; et majeur, c'est-à-dire àgé de plus de 25 ans.
- jets ou rôles d'imposition
Ces listes sont toujours très précises. Personne n'est oublié, originels du village, originaires de la province, étrangers, personnes vivant seules, indigents, etc.
Les listes et l'habitat du village en filigrane
Les listes utilisées (le tiers supérieur seul des listes est présenté en fig.l) se ressemblent beaucoup malgré la diversité de leur origine [montres d'armes de 1535 (Bibliothèque municipale de Besançon, manuscrit 1074 :r 17), 1569 (ADHS 550 E dépôt 92 EE 4) et 1606 (ADHS 207 E suppl. 16) ; réunion de communauté de 1597 (idem précédente) ; rôle d'imposition de 1657 (ADHS 207 E suppl. 3)1.
Cette ressemblance vient du fait de la topographie particulière du village, un long rectangle allongé; les listes suivent fidèlement l'organisation des rues, en allant du sud vers le nord. Au début de la liste, on trouve les meuniers des moulins des Côtets et en fin de liste, le nom du meunier de Pont. Malheureusement, à l'intérieur des listes, aucun repère (moulin, four banal ou autre bâtiment) n'est signalé et sans connaître qui fait tourner tel moulin (il y en a huit). Les noms des notables de la ville de Vesoul possédant des propriétés bâties et résidants occasionnels ou non, ne figurent également sur aucune liste.
Pour avoir une vue d'ensemble des problèmes, le recours aux plans cadastraux napoléoniens est indispensable, d'autant qu'il n'existe pas de plan antérieur, sinon très fantaisiste. Les plans cadastraux reproduisent d'ailleurs des structures reliques comme les fours banaux, mentionnés pour la première fois en 1353, et ils n'ont pas changé de place.
À noter également que les listes successives correspondent tout simplement à des reprises de listes anciennes qui ont été corrigées et mises à jour au fur et à mesure.
Dans la partie encadrée de la figure 1, les Hugard et Richardot sont toujours ensemble, de la colonne A pour 1535 à la colonne D pour 1597, et accompagnent les Thevenin, du moins dans les deux premières colonnes de 1535 et 1569.
Cette permanence de proximité est due au fait qu'à chaque nom correspond, en principe, une maison, qui, par nature est fixe, contrairement aux individus.
La partie encadrée elle-même occupe la même place dans trois des cinq listes (B, C et D). Le groupe des maisons des Hugard, Richardot et éventuellement des Thevenin, a une position bien définie dans la liste comme sur le terrain.
La liste devait avoir une portée pratique; elle devait correspondre au cheminement, de maison en maison, des collecteurs d'impôts. Pour simplifier le travail des notaires ou autres scribes, toutes les listes nominatives, qu'elles soient destinées aux montres d'armes ou aux réunions de communauté, procédaient du même raisonnement et présentaient les mêmes suites de noms. La configuration d'Échenoz se prêtait fort bien à cette pratique de relevés.
De ce fait, tout changement important dans une liste par rapport à la précédente correspond à un déplacement et à un changement d'habitation.
Il faut cependant être très prudent. Les listes les plus fiables sont celles des impositions. Il en est de même pour les listes des montres d'armes (celle de 1535 présente quelques petites anomalies, mais reste utilisable). Les listes de réunions de communauté sont plus délicates à utiliser.
Les listes et l'identification des maisons
La constatation précédente de position de proximité doit pouvoir être confirmée. Un Doisot par exemple est toujours flanqué ou proche d'un Thevenin (fig. 1) ; ce qui se traduit de la façon suivante : la maison des Doisot est très proche de celle des Thevenin.
On a une confirmation de la proximité des deux maisons, dans l'acte d'émancipation de Thiébault Doisot du 12 février 1618 (ADHS B 4155). Jean Doisot, son père, lui donne "une maison appelée la maison Doisot, assise à Eschenoz, ensemble le jardin et curtil étant derrière, entre [la maison de] Jacques Thevenin d'une part, [les maisons de] Claude Jacquinot et Jean Cresley d'autre part".
On est dans le cas de la colonne D (montre d'armes de 1606). Il va de soi que la maison de Jacques Thevenin est également celle de son père, Antoine Thevenin (colonnes C pour 1597 et B pour 1569).
Pour la reconnaissance des maisons elles-mêmes, on reste parfois perplexe, car elles ne sont identifiées généralement que par rapport aux habitations voisines, avec, parfois une allusion à la rue ou à un treige. Par chance, elles peuvent être désignées par le nom d'une personne, généralement un homme "Chieux Martin Hugard", "la cheminée Chieux Jehan Maillot", "Chez fut François Fournier". Ces appellations, qui correspondent à nos numéros de rue actuels, sont fort commodes, car elles ont une longue durée de vie; en revanche, elles masquent généralement le nom du propriétaire ou du locataire.
Dans l'exemple qui suit, les Richardot possèdent plusieurs maisons, dont une maison dite et appelée "Chiez Pierre du Veau" (certainement le nom d'un ancien propriétaire Pierre Devaux), et une autre "Chieu Humbard Richardot" (nom d'un ayeul ou d'un grand oncle, cf. colonne B pour 1569).
À ces indications tirées d'un partage des biens de fut Jacques Richardot, il est indiqué, et c'est tout à fait excep¬tionnel, que ces maisons sont situées près du chemin du Veau (3 juin 1633 ; ADHS E 716). Les maisons des Richar¬dot sont ainsi bien localisées.
Le nom de Jacques Richardot appa¬raît dans des listes de réunion de communauté non présentées dans cet article (21 mars 1613, 4 juin 1617, 28 juillet 1628). On ne connaît pas très exactement la place de Jacques Richardot par rapport à Gilles Richardot; peut-être sont-ils frères (cf. colonnes B, Cet D).
La proximité Richardot-Hugard est confirmée (fig. 2) :
- par un inventaire après décès de furent François Clerc et Jacquette Charmoille (François Clerc est le fils de Jean Clerc, meunier au moulin de Pont-Iès-Vesoul, et de Pernette Hugard) ; ils possédaient "une maison appelée la maison de Chieu Martin Hugard ... entre Jacques Richardot et Anthoine Chodel d'une part et un treige d'autre" (inventaire du 7 décembre 1628 ; ADHS B 6896) (fig. 2 A) ;
- et par une mention suite à un décret sur les biens de Claudine Desdet, veuve de fut Thomas Cresley, "une maison ... entre Gillot Richardot d'une part et la femme Jean Clerc de Pont [en l'occurrence Pernette Hugardj d'aultre, par devant la rue commune" (20 février 1612 ; ADHS B 5772) (fig. 2 B).
La maison dénommée "Chieu Martin Hugard" concerne bien des descendants Hugard par Pernette Hugard.
Les maisons Richardot sont sur ou proches du chemin du Veau; par ricochet, celles des Hugard (encadrés des colonnes A et B de 1535 et de 1569) le sont aussi. Le nom d'Antoine Chodey figure bien dans la partie encadrée de la figure 1 avec les Hugard et les Richardot (colonnes C et D). La maison très anciene "Chieux Jehan Thevenin" devait être également dans les parages proches.
À noter que la rue du Veau a été baptisée récemment rue Joseph Rouget. Au XVIIème siècle, et pendant fort longtemps, elle fut dépourvue de constructions, sauf à ses extrémités, au nord avec la propriété des Jésuites (mairie actuelle), et au sud avec des maisons particulières (Richardot, Hugard, Thevenin, et autres).